« Une distinction classique oppose État de police et État de droit. Dans l'État de police, les règles protectrices des libertés ne s'imposent qu'aux personnes privées, alors que dans l'État de droit elles s'imposent aussi aux pouvoirs publics. Les libertés publiques ne peuvent donc se développer pleinement que dans un État de droit. [...]
L'État de droit est l'État qui, étant à la fois esclave et protecteur des libertés, tire sa légitimité de son aptitude à les développer, et à s'y soumettre. Pour que cette " mission-soumission " caractéristique de l'État de droit soit menée à bien, deux conditions doivent être réunies. Il faut d'une part que l'action des gouvernants soit enserrée dans une hiérarchie des normes, au sommet de laquelle figure la déclaration des droits, d'autre part que les juges soient suffisamment indépendants pour en sanctionner la méconnaissance ».[1]
Cette citation du Professeur Lebreton Gilles qui est d’ailleurs un collègue du Professeur Abdoulaye Wade, tous agrégés de Droit, nous montre une nette distinction entre Etat de droit et Etat de police. Dans quel système institutionnel peut- on classer le Sénégal dirigé par cet homme « brillant, bardé de diplômes de maths, de philo, de psycho, d'économie, de droit... obtenus en France »[2]. ? A voir le profil de notre Président, cette question parait impertinente. Mais elle trouve toute sa pertinence à partir d’un certains nombre de faits concrets.
En effet deux journalistes sénégalais ont été sauvagement tabassés par des « forces de l’ordre » sénégalais au cœur de la capitale sénégalaise le samedi 21 juin 2008 lors du match Sénégal/Libéria. Ces journalistes n’ont ni violé une loi, ni troublé l’ordre public. Ils exerçaient simplement leur travail pour permettre au public de jouir du « droit à l’information plurielle » garanti par l’article 8 de la Constitution. Ce comportement barbare des forces de l’ordre sénégalais est en déphasage avec l’esprit du peuple souverain qui considère dans sa Constitution que « la construction nationale repose sur la liberté individuelle et le respect de la personne humaine, source de créativité » ; qui proclame que « le respect des libertés fondamentales et des droits des citoyens comme base de la société sénégalaise »[3].
Plus de deux semaines après cet acte odieux, c’est le silence total de la part des plus hautes autorités de la République.
En effet, dés son arrivée à l’aéroport, le dimanche le ministre de l’Intérieur M. Sy, a juste utiliser le mot « incident malheureux » pour qualifier cet acte, avant d’ajouter qu’une commission d’enquête sera mise sur pieds. Il s’est arrêté là. Nous saluons au moins l’effort qu’il a fait pour avoir sorti ces quelques mots de sa bouche.
Le ministre de l’Information, porte parole du Gouvernement s’est montré touché. Mais nous avons le sentiment que le ministre parle plutôt en son nom propre, mais pour le compte du Gouvernement. Car ce dernier ne semble pas partager ses sentiments. Les sorties fracassantes de M. Farba Senghor le démontre bien. Puisque M. Senghor est devenu le porte parole de fait du Gouvernement.
Le Premier ministre, chef du Gouvernement, ne s’est même pas prononcé sur la question. On peut lui pardonner ce comportement qui n’est pas certes louable. Mais juridiquement, il ne peut pas être condamné.
Cependant, le silence du Chef de l’Etat est inadmissible et intolérable. Dans tout les Etats modernes le Chef de l’Etat « élu par le Peuple » est « le gardien de la Constitution »[4]. Cela signifie que le Président de la République respecte non seulement la Constitution mais aussi vielle à ce qu’elle soit respectée. Or cette Constitution au terme de son article 9 dispose que « toute atteinte aux libertés et toute entrave volontaire à l’exercice d’une liberté sont punies par la loi ».
Mais dans cette affaire, le « Président de tous les sénégalais » s’est montré muet. Mais il se contente de voyager de pays en pays pour y rétablir la paix et la sécurité en conseillant à certains Présidents comme Mugabe de garantir la sécurité de leurs opposants et de leur peuple. Au même moment, dans son pays la sécurité de ses propres opposants et celle de simples citoyens sont menacées par ses hommes. Or, un tel acte s’il avait eu lieu au pays de Mugabe, il l’aurait condamné, ironise Jules Diop dans son émission Degg Degg du 01 juillet 2008 sur le site de seneweb.
C’est vraiment ridicule ! Mais heureusement ou malheureusement, le ridicule ne tue pas au Sénégal, comme aimait le rappeler Pape Alé dans ses revues de presse.
Nous faisons parti de ces citoyens sénégalais qui s’attendaient à ce que cette affaire soit évoquée en Conseil des ministres du 26 juin 2008 et que des sanctions sévères y soient prises. Mais grande fut notre déception à la lecture du Communiqué qui nous montre que l’affaire n’a même pas été évoquée. L’intervention du ministre de l’Information n’y est pas mentionnée[5]. Ce qui est inadmissible de la part d’une autorité investie de la confiance populaire et censée être là pour tous les citoyens quelque soit leur appartenance politique ou professionnelle. Une promesse d’enquête aurait au moins un peu soulagé. Mais cette fois ci, Wade n’a pas usé de son titre de « docteur ès Promesse » qui lui a été décerné par la journaliste Marie Laure Colson au lendemain de sa « victoire »[6].
Le Gouvernement et le Chef de l’Etat en se comportant ainsi ont une fois de plus monter aux citoyens sénégalais qu’ils ne sont pas égaux devant la loi et qu’au Sénégal, il y’a des sujets et des privilégiés de naissance, de personne, de famille et de parti politique. Ce qui est en contradiction avec les alinéas 4 et 5 de l’article 7 de la Constitution. L’exemple de Pape Cheick Fall, le correspondant de Futurs médias lui aussi sauvagement tabassé par les talibés de Béthio Thioune en est une parfaite illustration. Et pourtant ses agresseurs sont connus de tous, pas besoin d’enquête. Mais puisque c’est avec leur soutien que Wade comptait pour se réélire dés le premier tour, c’est le désintéressement total. Au même moment il condamnait et s’étaient décidé à aller jusqu’au bout dans la recherche des auteurs de l’assassinat de son militant Oumar L. Badji.
Quelle contradiction ! N’est ce pas c’est lui-même qui a gracié les assassins de Me Séye et a fait voter à son assemblée nationale une loi d’amnistie ?
Entre un assassinat, et une agression, la différence est de degrés mais pas nature.
Le Président Wade, qui aiment bien s’asseoir au côtés des Présidents des puissances étrangères, se glorifier d’avoir inscrit dans sa Constitution, des droits et libertés fondamentaux, doit bien regarder la pratique et le comportement de ces derniers dans leurs Etats en temps de paix comme en temps de crise nationale. Une chose est d’avoir une Constitution bien écrite, une autre chose est de l’appliquer comme il se doit.
Par coïncidence, l’agression de Kambel et Kara a eu lieu le même jour que celle d’un jeune juif de 17 ans en France.
« Le chef de l'Etat (français) et la ministre de l'Intérieur ont exprimé leur indignation et leur soutien à la victime et sa famille ainsi qu'à "la communauté juive". « De son côté, Rachida Dati, la Garde des Sceaux, a "condamné avec la plus grande fermeté la violente agression", dont "le jeune homme de confession juive" a été victime. Exprimant à "l'ensemble de la communauté juive sa compassion et sa vive sympathie", elle a demandé au Procureur de la République de "donner des instructions pour que les auteurs de cet acte inqualifiable" soient "poursuivis avec la plus grande rigueur". [7]
Et cette détermination des autorités françaises était très sincère. Car il a fallu seulement trois jours après l’agression pour que la justice française n’arrête, les cinq agresseurs présumés du jeune juif avant d’être déférés devant le juge.[8]
Et plus récemment dans l’affaire de la fusillade de Carcassonne due à une erreurs des soldats français (donc un fait qui est involontaire) le Président Sarkozy, avec tout le courage qu’on lui reconnaît a affirmé publiquement sur la Chaîne France 3 : «J'en suis resté accablé et j'ai demandé au ministre de la Défense de conduire une enquête extrêmement précise indépendamment de l'enquête judiciaire car il y a au minimum des problèmes d'encadrement».[9]
Cette position courageuse du Président Sarkozy a eu un effet direct : Le Chef d'état-major de l'armée de terre, le Général Bruno Cuche, lui a remis sa démission deux jours après la fusillade.
Ce Président là, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, assume bien ses fonctions et respecte ses concitoyens.
Une belle leçon que la France vient de donner au Président de la République du Sénégal, au Gouvernement du Sénégal, à la Justice sénégalaise et à aux autorités policières sénégalaises. C’est exactement ce comportement responsable qu’on attendait d’eux. Pas autre chose.
Mais dans ce pays, on assiste de plus en plus à la banalisation de la violence et des atteintes aux droits et libertés fondamentaux. La Constitution n’est appliquée que quand cela arrange le
Prince et c’est lui qu’il revient la tâche de l’interpréter et de l’adapter à ses passions. L’affaire du fameux article 27 de la Constitution en est une parfaire illustration.
En définitive, face à tous ces faits concrets, dans système institutionnel peut on classer le Sénégal en se basant sur les définitions données par le Pr. Lebreton Gilles ?
Amadou Moctar DIALLO,
Etudiant en Sciences Juridiques et Politiques à l’Université Gaston Berger de Saint Louis
Lauréat du premier prix de Droit Constitutionnel et Institutions Politiques 2008
E-mail : adyallo@yahoo.fr
1, Lebreton Gilles, Libertés publiques et Droits de l'homme, Paris, Armand Colin, 1995, coll. « U », p. 24
[2] Journal Libération du 28 février 2008
[3] Préambule de la Constitution du Sénégal
[4] Article 42 de la Constitution
[5] http://www.gouv.sn/conseils_ministres/index.cfm
[6] Sénégal : Wade docteur ès promesse, Libération du 28 février 2008
[7] http://www.liberation.fr : dimanche 22 juin 2008).
[8] AFP, 24 Juin 2008
[9] L’Express du lundi 30 juin 2008