Thursday, March 12, 2009

EXPOSE : SOCIETE CIVILE ET POUVOIR POLITIQUE EN AFRIQUE










Cette reflexion est un exposé que j'ai présenté le 11 mars 2009 au cours de
PROBLEMES POLITIQUES CONTEMPORAINS avec le Pr. Babally SALL à l'Université Gaston Berger de Saint Louis.


Introduction


La société civile a vu un développement exponentiel dans les démocraties occidentales. Elle fait partie de ces concepts transposés dans les jeunes démocraties africaines où elle est a fait sa grande apparition dans les années 90 période à laquelle, la majorité des paix africains se sont payé « le luxe de la démocratie ». Traditionnellement la société dite civile (vie civile) est opposée à la société politique (vie politique) donc à l’Etat tel que prônait par Hegel en 1821 dans Les principes de la philosophie du droit.
On peut tenter de la définir comme étant l’ensemble des rapports, des interactions (d’ordres divers) et des actions qui se passent dans une société donnée et en dehors de l’Etat. Pour Gramsci considéré comme de la société civile, celle-ci, concerne l’idéologie sous tous ses aspects ainsi que les institutions qui la créent et la diffusent Ainsi, partant de cette définition, la société civile englobe des individus regroupés sous forme de familles, d’associations, de syndicats ou d’organisations non gouvernementales qui ont une certaine autonomie fonctionnelle et budgétaire par rapport au pouvoir politique.
Cependant en Afrique, la société civile comme le montre bien Mamadou Hady DEME1 est dans un état embryonnaire mais n’empêche, elle est entrain de jouer un rôle important dans des différents domaine de la vie sociale.
La société civile ayant pour but de contribuer à améliorer la vie des populations par la promotion de valeurs universelles (la démocratie, les droits de l’homme, la paix,…) et la réduction de tout facteur pouvant entraver le bien être de ces populations (pauvreté, non scolarisation, pandémie,…) ; l’Etat ayant aussi pour vocation de satisfaire ces mêmes attentes, il s’en suit donc entre le pouvoir politique et l’Etat il y’a forcément des interactions. Quelle est la nature de ces rapports ? Y’a une subordination entre la société civile et le pouvoir politique ? La société civile est-elle bien outillée pour faire face au pouvoir politique ?
Pour répondre à ces interrogations, il convient d’abord d’expliquer les facteurs qui ont aidé à faire émerger une société civile africaine (I) avant d’étudier ses rapports avec le pouvoir politique (II).


I-L’émergence d’une société civile africaine à côté du pouvoir politique


A-Une résultante du processus de démocratisation...

La société civile en tant qu’espace d’épanouissement et d’expression des citoyens ne peut rayonner que dans un environnement plus ou moins démocratique. Le continent africain a vu l’émergence de sa société civile –sous sa forme moderne- qu’avec le processus de démocratisation entamée dans les années 90. Ce processus suppose l’ouverture et l’acception de la contradiction et une transparence dans la gestion des affaires publiques. Ainsi, des investigations et des débats contradictoires sur cette gestion sont sans doute un aspect de cette démocratisation. Mais aussi, il garantie la liberté d’association et de manifestation.

En effet, la société civile offre aux citoyens un cadre de participation à la vie de la cité. Avec elle, les affaires de celle-ci ne sont plus discutées simplement dans le cadre des partis politiques ou des institutions étatiques. Ainsi, la démocratie importée a amené avec elle la société civile. Cependant, l’efficacité ou le rayonnement de celle-ci dépend surtout du degré d’éducation et de citoyenneté des populations. Or, nous savons que le continent africain est frappé par un taux d’analphabètes (au sens occidental du terme) très élevé. Ce qui constitue une limite à ses actions. Car la population est censé constituer cette société civile. Donc plus cette population est bien armée intellectuellement, plus on assiste à une société civile puissante capable de faire face à ses défis. Comme le montre bien Mamadou Hady Dème «Point de départ de la participation des citoyens à la vie politique, le mouvement de la société civile constitue le fondement de la démocratie, tandis qu'en Afrique et au Sénégal la gestion du pouvoir politique reste à la seule appréciation des politiques. Les populations à la base sont quant à elles, réduites en simples observatrices de l'activité politique, à la limite passives. Dans ces pays où la société civile est encore embryonnaire, la présence des citoyens sur le champ politique n'est remarquable que durant les périodes électorales »2. Et la présente campagne électorale locale démontre bien cette assertion. En outre, l’émergence de la société civile africaine a été favorisée par la crise de l’Etat africain.

B- ...Et de la crise de l’Etat-nation


La théorie de l’Etat Nation longtemps mis en branle ne laisse aucune place à d’autres acteurs non étatiques. En effet, selon cette théorie, seuls les Etats investis de la souveraineté du peuple ou de la nation ont le droit de représenter ceux-ci et de parler en leur nom. Mais avec la crise de l’Etat-nation, de nouveaux acteurs émergent. Ainsi, l’Etat n’a plus le monopole des décisions et des politiques à l’intérieur de son territoire. C’est pourquoi, aujourd’hui on voit la présence des OSC dans tous les domaines notamment à travers des organisations non gouvernementales. Le Sénégal semble être un terrain de prédilection des ONG. Cependant, la société civile ne se réduit pas aux ONG même si ces dernières se sont appropriées durant exclusivement le terme au cours de cette dernière décennie. Dans la famille de la société civile, nous pouvons y mettre tous les mouvements associatifs, syndicaux, religieux, estudiantins, et selon même la conception gramscienne, les partis politiques d’opposition car étant hors du démembrement de l’Etat et de son appareil, etc.

En effet, la mondialisation qui a atténuée la capacité d’intervention de l’Etat a favorisé l’émergence des organisations de la société civile. De nos jours, beaucoup de bailleurs de fonds contournent les Etats Nations pour coopérer avec les ONG surtout spécialisées dans les domaines qui font l’objet de financement. L’aide au développement qui a connu des changements ces dernières années dans sa façon d’être accordée en est une illustration. Ces pourquoi, on retrouve une multiplicité d’ONG dans le domaine du développement surtout à la base, socle du développement durable tel que prônait par les institutions internationales de Bretton Woods. Cependant cette très grande importance (qui rime avec puissance) accordée à ces acteurs étatique faisant d’eux «les enfants gâtés »3 influence leur rapport avec l’Etat.


II-Les rapports variables entre société civile et pouvoir politique

A-La société civile, un contre pouvoir au pouvoir politique :

Avant de se payer « le luxe de la démocratie », le système politique africain est marqué par le parti unique, synonyme de pensée unique qui « se contrôle » lui-même. Cependant, le processus de démocratisation a favorisé d’autres acteurs qui se sont constitués progressivement comme des contres pouvoir hors du cadre institutionnels. Car les assemblées parlementaires (les partis d’opposition) qui devaient normalement joué ce jeux se trouvent limité par l’organisation du système politique lui-même. Ainsi, les (OSC) joue aujourd’hui un rôle de sentinelle sur beaucoup de questions allant du respect de l’Etat de droit aux questions de développement. D’ailleurs dans l’histoire, les mouvements contestataires ont pris leur source dans les mouvements de la société civile. On peut citer l’exemple de la révolution de mai 68 avec le mouvement estudiantin qui a plongé beaucoup de pays (surtout les jeunes africains qui venait d’accéder à l’indépendance) dans une instabilité politique sans précédente. Dans certain pays comme le Burkina Faso ou le Sénégal, le mouvement étudiant a su étrangler le pouvoir politique. Au Burkina par exemple, l’Association nationale des étudiants burkinabé (ANEB), section nationale de l’Union générale des étudiants burkinabé (UGEB) a organisé au printemps 1997 une grève houleuse que le Pr. Augustin Loada qualifie comme étant « la plus longue grève de l’histoire du mouvement étudiant »4 burkinabé. Cette même situation s’est posée au Sénégal avec les grèves étudiantes de 1988 et de 1993 qui ont conduit respectivement à une année blanche et à une année invalide. Ces tensions souvent teintées de soubresauts politiques sont des moments d’instabilités sociopolitiques que le pouvoir essaye malheureusement de gérer par la répression et la division avec son corollaire, la corruption. D’ailleurs on note une nouveauté dans la société civile selon le Pr. TESSY BAKARY5 avec « des « mouvements aux groupes de soutien » à des candidats aux élections présidentielles. Quelques-unes de ces organisations qui s’inscrivent dans la durée fonctionnent sur le modèle des « Political Action Committees » (PAC) et procèdent à la levée des fonds pour les campagnes électorales et procurent des services à des électeurs (photos et démarches administratives pour l’obtention des cartes d’électeur, par exemple) ».
Ainsi, on voit que cette société dite civile ne se cantonne pas simplement dans la « sphère civile », mais elle s’invite aussi dans le champ politique Cette attitude s’explique bien par la théorie de « Tout est politique », le fameux slogan de mai 68. Cette attitude de la société civile reste cependant très controversée aux yeux de l’opinion. Dans un dossier réalisé par Sud Echos6 intitulé « ONG et Politique : Complémentarité ou symétrie ? » les hommes politiques comme Yaya Mané (1er adjoint du maire de la commune de Ziguinchor) pense qu’ «il faut procéder à une redéfinition des tâches. Car chacun doit rester dans ses compétences » et Mamadou Konté, responsable politique dans le parti au pouvoir renchéri en dénonçant « l’intrusion des ONG dans l’univers politique ». Mais de l’autre côté, cet engagement est vu simplement par un acte citoyen, selon Ibrahima Ka, le coordinateur de l’ONG PACTE souligne avec regret, le fait que « la présence des ONG aux côtés des populations met souvent les autorités dans une situation embarrassantes ». Le Collectif burkinabé « Trop c’est Trop » qui lutte pour le respect des valeurs démocratique et de l’Etat de droit, pose ce débat en ces termes « Les organisations ou associations formelles réputées « apolitiques» sont-elles interdites de politique ou d’activités politiques ? Qu’est ce qui est politique, qu’est-ce qui ne l’est pas ? À supposer que ces activités soient politiques, sont-elles illégitimes ? »7
Ces positions montrent bien les relations entre le/la politique et les ONG et d’une manière générale les OSC qui « empruntent souvent le chemin des clichés » selon Oumar Ba, Directeur Général de l’ONG ASACASE dans le même dossier.

Cependant malgré leurs importantes ressources humaines et financières, qui leur permettent de contrer le pouvoir politique, la société civile souffre de quelques limites face à ce dernier.

B-Le pouvoir politique, une menace pour la société civile :


Malgré la crise de l’Etat-nation, certains pouvoirs restent toujours l’apanage du pouvoir politique. Ainsi, la première limite de la société civile face au pouvoir politique est d’ordre institutionnel. En effet, c’est au pouvoir politique qu’il revienne de reconnaître toute OSC. Quelque soit leur nature, les OSC sont organisées du point de juridique en harmonie avec le droit positif du pays où elles sont crées. Donc il y’a pas un droit supra national qui organise les OSC. Par exemple, Amnesty International malgré son caractère international avec beaucoup de sections dans le monde est régie par le droit anglais où elle a son siège. Cet exemple est valable pour toute autre organisation. Par exemple, au Sénégal, les ONG sous la tutelle du ministère de la Femme. Ce qui signifie donc que ces organisations sont contraints d’exercer leur activités en respectant du droit positif du pays où elles mènent celle-ci. L’actualité nous apprend qu’au Soudan, le Président Béchir a renvoyé beaucoup d’ONG dans la région du Darfour, qui, selon lui « ne respecte pas les lois soudanaises ».
Le pouvoir politique n’hésite pas à user de l’intimidation voire de sévères répressions contre les militants de la société civile ou même d’interdire toute manifestation de celle-ci au nom de l’ordre publique: L’exemple de la Guinée où depuis la prise du pouvoir par le capitaine Dadis Camara, toute manifestation est interdite car selon lui susceptibles de « trouble à l’ordre publique » (une notion au contour flou mais bien aimée par les préfets et sous préfets sénégalais). Cette répression s’étend même au cadre d’expression des organisations de la société civile : la Presse. Au Burkina Faso par exemple, le régime de Blaise Compaoré, allergique aux critiques n’a pas hésité à incendier le quotidien privé L’Observation et l’assassinat du Directeur de Publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, Norbert Zongo, le 13 décembre 1998 montre à quel point le pouvoir politique est capable de franchir les barrières si il se sent menacé.

En outre, la division et le nombre important des syndicats dans le même domaine, sont une des faiblesses de ceux-ci et réduisent l’ampleur de leur action. Et le pouvoir politique, le plus souvent use de cette division pour mieux les canaliser et les discréditer. Au pays de la Téranga, les syndicalistes et les professionnels politiques sont souvent les mêmes personnes. Ce qui fait que les actions de beaucoup de syndicats sont dictées par des logiques politiques. On a vu même des membres actifs du parti au pouvoir créer leurs propres syndicats surtout dans le domaine de l’éducation, sous prétexte que ce secteur est dominé par des syndicats issus des partis de Gauche actuellement dans l’opposition.

Cependant, malgré ces obstacles la société civile africaine est dans une quête permanente d’indépendance en échappant au pouvoir politique. Cette indépendance est facilitée par la qualité de ses membres et de ses dirigeants issus du milieu intellectuel les plus réputés qui ont un réseau international puissant qui fait qu’ils sont souvent « protégés » au-delà de leurs frontières. En outre, c’est surtout leur autonomie financière par rapport aux Etats qui est le socle de leur indépendance.
Aujourd’hui, la société civile africaine est certes jeune mais dynamique. Elle s’est illustrée dans les luttes pour la démocratie, la paix, les droits de l’homme, les questions de genre, etc. La confiance que leur accorde les bailleurs de fonds et les institutions internationales (par exemple à l’ONU les ONG sont admises au niveau de conseil économique et social comme des observateurs et un service de liaison avec ces ONG est mis sur pieds qui publie chaque année une revue qui informe des activités de ONU avec celles-ci) font d’elles des acteurs avec qui les Etats nations gagneraient plus à entretenir des rapports de collaboration que des rapports conflictuels.

Notes:
1. Mamadou Hady DEME, Du rôle de la société civile pour une consolidation de la démocratie participative au Sénégal, UGB publié dans le site memoireonline.com

2.Mamadou Hady Dème, op.cit.

3.Kalilou SYLLA, « LA SOCIETE CIVILE DANS LES DEMOCRATIES NAISSANTES EN AFRIQUE DE L’OUEST : « ENFANTS GATES » OU ALTERNATIVE A L’ETAT ET AU MARCHE POUR LE FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT ? CAS DES ONG EN COTE D’IVOIRE » Codesria, West African Region Cotonou, Benin, 6-7 Septermber 2003

4.Augustin Loada, « Réflexions sur la société civile en Afrique : Le Burkina de l’après-Zongo »in Politique africaine n° 76 - décembre 1999, p 138.

5.TESSY BAKARY, « La vie politique en Afrique noire francophone entre pesanteurs et métamorphoses », communication présentée au symposium international de Bamako, tenu du 01 au 03 nov 2000, p 326.

6.Sud Echos « Liberté », Bulletin d’informations du Sud Sénégal, N° 10- 2008, pp 19- 20

7. Augustin Loada, op.cit. p 141.

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